Brève d’agence : Ma Bonne Nouvelle !

Melle Jeanne Melle Jeanne il y a 2 années
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C’était il y a 11 ans, j’avais gagné le 3ème prix de nouvelles organisé par l’agence Quatre-Quatre de Nantes pour les pros de la Com”. En 2010, le thème était “Crime dans la Com'”.
Je venais de subir un licenciement économique et pour moi, écrire, m’avait permis de mieux vivre cette période de ma vie professionnelle. Même si toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite, j’avais envie aujourd’hui de vous partager cette nouvelle fantastique parce que c’est quand même trop dommage de ne pas laisser de traces sur la toile de cette nouvelle et qu’en plus, Google va être trop content de référencer tous ces nouveaux mots clés liés à la communication!

Je vous souhaite donc une bonne lecture au coin du feu… et sans rancune !

crime dans la com - concours nouvelle2

Le clic de trop

 

Le couperet est tombé : c’est la crise ! Notre agence de pub doit fermer : licenciement économique pour toute l’équipe.
Ils en ont décidé ainsi, les pontifes de la Capitale et le Nettoyeur a débarqué dans notre succursale bretonne sans prévenir. A tour de rôle, chacun passe dans le bureau enfin occupé du directeur d’agence, dont la spécialité était de laisser sa porte, légèrement ouverte, signe qu’il n’était pas tout à fait fermé à la communication avec autrui… M ais ça, c’était avant !
Le Nettoyeur, au visage condescendant, s’installe sur le trône et répète inlassablement la même litanie à chacun, dont il a noté le profil sur son ordinateur afin d’humaniser l’entretien.
« Nous sommes satisfaits de votre travail depuis de nombreuses années… Nous n’avons rien contre vous… MAIS : la crise, la concurrence, les compétitions presque gagnées et tout à fait perdues font qu’il faut fermer UN site… et c’est malheureusement le vôtre qui a été choisi ! ».
Les réactions pleuvent à la sortie des entretiens. De l’étonnement, les collaborateurs passent aux sentiments de colère, d’injustice… et finalement, la haine gagne du terrain dans nos rangs.
De 2 à 30 ans d’expérience, nul n’avait vécu pareille liquidation. Ceux qui ne sont pas encore passés trépignent d’impatience : « Que vont-ils lui dire ? Quels sont les arrangements possibles ? Mais pourquoi Nous !… » Enfin, mon tour arrive. J’imagine déjà mon profil inscrit sur l’écran :
« Rédactrice conceptrice depuis 8 ans. Honnête et travailleuse. Fille de patron… ».
Je suis la salariée type qui ne devrait pas poser de problème. Je frappe à la porte, fermée, et entre sous ses commandements. Il me tutoie. Je rougis. De quel droit se permet-il cette condescendance ? Mon entretien débute de la même manière que les autres me l’ont raconté… Mais soudain, il se lève, tourne autour du bureau et se place derrière moi. Le ton de sa voix prend celui de la confidence, il chuchote presque : « Sophie, nous avons une grande estime pour toi et ton travail… Nous apprécions ta personnalité, tout comme tes collègues, qui ont une grande confiance en toi… » . Je me retourne, perplexe, et lui demande où il souhaite en venir. Il reste me fixer quelques instants, un étrange sourire aux lèvres, qui transforme le Nettoyeur en froid calculateur… Il fait quelques pas, s’assoit près de moi et fait siffler la sentence entre ses dents : « Ce licenciement peut nous coûter les Prud’hommes. Il suffit d’un salarié révolté pour nous mettre tous les autres à dos… Si tu arrives à faire redescendre la pression, tout en nous désignant les meneurs, nous pourrions t’être très reconnaissants… ». Au fil des mots, les larmes me montent aux yeux, une boule grossit dans ma gorge et mes joues sont en feu : « Mais pour qui me prend-il ? » ! « Une vendue, une intéressée… Comment pourrais-je trahir les gens avec qui je travaille depuis tant d’années ! ». Mon cerveau tourne à toute vitesse et dans la confusion générale, je m’entends lui demander : « Combien ? ».
Dès lors, ses traits se détendent, son regard se met à briller. Il se lève en prenant appui sur mon épaule, quelques secondes de trop, tout en me disant : « Nous savions bien que nous arriverions à nous entendre. J’en parle au-dessus et te recontacte très rapidement. En attendant, ouvre tes 2 oreilles et met ton talent de copywriter à notre service : voici mon adresse mail » et il me tend sa carte de visite. Je me lève, tel un zombie, choquée… J’ouvre cette satanée porte en me rappelant qu’au bout du couloir, mes meilleurs nouveaux ennemis m’attendent.
Ils se sont tous réunis dans la cafétéria. Le standard sonne mais plus personne ne songe à répondre. Il rythme les discussions, sans queue ni tête, qui abondent de la part de mes collaborateurs en furie. Mon arrivée passe presque inaperçue. Un sourire en coin, une accolade, je suis des leurs… « Comment pourrait-il en être autrement ? ». Le directeur de clientèle d’une grande marque agroalimentaire semble le plus remonté. Ce n’est pas la première fois qu’il vit une suppression de personnel, il est d’ailleurs le seul survivant de la dernière. Mais là, on le sent réellement touché dans son orgueil. « Pourquoi est-ce cet inconnu qui nous l’a annoncé ? Mais où notre pseudo directeur d’agence peut-il bien se cacher?». Le ton monte, nous cherchons un coupable et les absents ont toujours tort ! Enfin, le dernier collaborateur vient de passer entre les mains du Nettoyeur. Chacun sait dorénavant à quelle sauce il va être mangé ! Bien sûr, comme dans tout licenciement économique, il y a une obligation de reclassement. Mais quelle facilité pour un groupe mondial de proposer des postes aussi improbables que le Bengladesh ou la Turquie…. Aucun des postes proposés ne mentionne évidemment une destination en vogue dans le secteur ou un poste plus élevé… Lorsque le directeur de clientèle et ses 30 ans de bouteille se voit proposer un poste d’assistant de production au bout du Monde… Nous sentons que nous sommes en train de passer du côté obscur de la force !
L’heure de la fermeture des bureaux est déjà passée depuis bien longtemps et nous sommes encore tous là. Pourtant ce soir, il n’y a pas de charrette prévue ou plutôt si, la plus grosse que l’agence n’ait jamais connue ! La nuit tombe et nous décidons d’en rester là. Chacun doit maintenant rentrer chez lui avec une nouvelle inconnue en tête : « Comment vais-je l’annoncer à ma famille ? ».

Le lendemain, il règne à l’agence, une ambiance de lendemain de fête… Gueules de bois à tous les étages, mines déconfites, c’est le 2ème effet Kiss Kool ! J’allume mon Mac, mécaniquement comme chaque matin, et ma messagerie clignote : « Vous avez un nouveau message ! ». En rouge, je vois apparaître le nom du Nettoyeur et j’en prends la même couleur. Il me demande déjà des comptes ! Je lève les yeux de mon écran, pour vérifier que personne ne m’observe. Non, ils sont tous, par groupe de 2 ou 3, à ressasser les mêmes histoires, à chercher des solutions improbables… J’hésite entre : répondre – transférer – supprimer. Mon avenir se résume à ces 3 boutons. Un clic et je change définitivement de destinée. « Serait-ce une trahison si je les « donnais » ? »
8 ans que je suis la confidente de leurs petits déboires et grandes révélations… Je sais pertinemment lequel d’entre nous pourrait devenir le meneur, de quelle manière calmer le chargé de fab’ et ses désirs refoulés de service publique, la directrice artistique névrosée qui ne rêve que d’art contemporain et la secrétaire qui pourrait se contenter d’une préretraite bien méritée…
Peut-être que tout en haut, les Pontifes prendraient en considération mes confessions intimes et proposeraient des postes ou enveloppes adaptés à chacun. Ainsi, nous n’aurions pas tout perdu ! Peut-être que finalement, cette fermeture d’agence est une chance, une opportunité que chacun doit saisir… Forte de cette réflexion, je prends ma souris en main, clique sur « répondre » et tape d’une traite « J’ai tout ce qu’il vous faut, rendez-vous au café d’à côté à 14h! Combien pour des infos sur chacun ? ». Suis-je vénale ? Non ! Je ne serais plus dans cette agence depuis le temps sinon… Je dirai plutôt que je suis opportuniste ! Moi aussi, je joue mon avenir : faut-il l’oublier ?
Décision prise, je me lève, direction la machine à café, à la pêche aux infos ! Le couloir résonne de messes basses et d’altercations sonores. Chacun, à sa façon, exprime son désarroi face à la grande inconnue de leur avenir ! Le Nettoyeur doit revenir demain : c’est l’unique certitude que nous avons. Je passe prendre la température chez le directeur de clientèle, personne… Mais son ordinateur clignote. Curieuse, j’approche et vois apparaître le nom de l’expéditeur du nouveau message : le Nettoyeur a encore frappé ! Tremblante, je prends sa souris en main, clique, c’est le déclic : même message, mot pour mot, seul le prénom a changé… Là, pour la 2ème fois en 2 jours, mon Monde s’écroule ! « Mais comment ai-je pu être aussi naïve ? Comment ai-je pu leur faire confiance ?». Soudain, la voix du directeur de clientèle tonne dans les couloirs. Vite, je coche sur « marquer comme non lu » et ressors de son bureau, un sucre à la main. Je le croise et échange un clin d’œil en lui disant « Je me suis servie dans ta réserve personnelle… tant qu’il t’en reste » ! Je traverse le couloir, ne sachant plus à quel saint me vouer. « A combien d’entre nous ont-ils promis la lune ? Nous ont-ils tous mis dans le même bateau pour nous saborder en même temps ? ». Perdue, je retourne à mon bureau. Là, toujours et encore, mon écran clignote. Je tente de l’ignorer, mais la curiosité est la plus forte : « A combien estime- t- il ma trahison ? ». Je clique : « 1 an de salaire pour 1 salarié donné »… Le calcul est aisé : nous sommes 20 : je pourrais facilement arriver en retraite avec ce pactole ! Mais les données ont changé. Je ne peux plus être sûre de leurs dires ! Qui me dit qu’une fois les infos transmises, ils n’oublieront pas notre petit arrangement? L’incertitude gagne du terrain… De mon bureau, j’entends de nouveau la voix du directeur de clientèle vrombir sa haine contre le patronat et là, une pointe de sur-jeu vient agacer mon oreille. Ça sonne faux, il en fait trop! Tout devient clair : les discussions de couloir prennent un nouveau son de cloche : ils sont tous dans le coup ! Le constat est simple : chacun prêche le faux pour connaître la vérité sur l’autre, afin de revendre les infos au Nettoyeur… Mes collaborateurs n’ont jamais aussi bien portés leur nom ! Je ne peux pas continuer à jouer ce petit jeu, c’est contre nature… Ainsi, pour défendre mon honneur, je vais utiliser la meilleure arme que je connaisse: ma plume !

Durant la trêve de midi, je décide d’écrire « Le mail de la vérité » comme je l’ai intitulé ! Il sera envoyé à l’ensemble du carnet d’adresses du Groupe dans le Monde : 15 527 adresses exactement. En tant que bonne copywriter, je le traduis en anglais et en espagnol, pour être sûre qu’il soit compris de tous. Dans ce mail, j’y raconte la fermeture expéditive de notre agence, l’entretien coup de poing avec le Nettoyeur, la stratégie mise en place pour soudoyer certains collaborateurs et nous liguer les uns contre les autres… Rien n’est oublié, tout est retranscrit ! Car si j’ai bien compris le Nettoyeur, nous ne serons pas les derniers sur la liste des « Agences à fermer ». Ce mail est peut-être un suicide professionnel, mais les prochains ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas ! Il est 13h, mes « collaborateurs » ne vont plus tarder à revenir et je programme mon mail pour qu’il soit envoyé automatiquement dans une heure. Je ne veux pas être là quand il viendra clignoter dans leurs boîtes mail…

Dans notre bistrot préféré, qui a vu les apéros fêtant les compet’ gagnées et les petites confidences autour d’un expresso… Je l’attends ! Pas longtemps, il est à l’heure le bougre, il a faim. Faim d’informations viles, de secrets inavoués, de fautes professionnelles cachées… Bref, tout ce qui lui permettra de faire pression sur mes collègues et leur faire éviter les Prud’hommes ! Ça y est, il m’a vu et me sourit. S’approche main tendue, et me la serre, encore un peu trop longtemps. Face à moi, dans ce bar de quartier, le Nettoyeur perd de sa superbe. Il pourrait être n’importe quel fonctionnaire d’à côté… Seul son Powerbook dernière génération trahit son rang. Il me tutoie, encore, me parle de la pluie et du beau temps comme à une vieille connaissance, commande son café, serré, et me demande d’ouvrir les vannes. L’air las, je lui tends, sans un mot, ma fameuse clé USB, qui ouvrira la porte des secrets. « Évidemment, tu recevras ton dû une fois l’agence fermée à double tour », me dit-il d’un air enjoué. Curieux, il glisse la clé dans le port, clique sur « ouvrir le dossier » et dans la précipitation oublie de fermer sa connexion sécurisée. Tout va alors très vite, son petit sourire en coin se transforme en un rictus mauvais, quand, devant ses yeux impuissants, tous les fichiers de son ordinateur s’ouvrent à la vitesse grand V… Apparaissent ainsi, tous les chiffres des agences, les stratégies de concurrences déloyales, les dessous de table et les coups derrière le dos… Tout est publié automatiquement sur la toile et transmis aux plus grands journaux économiques de la planète. Mon virus de la vérité est entré, aucune information ne sera épargnée! Avec délectation, je vois mon Nettoyeur blanchir à vue d’œil, faire du tam-tam sur son clavier, tenter de se déconnecter, en vain ! Ah, ils ont voulu jouer aux plus malins avec moi, c’était mal me connaître ! Le Nettoyeur, en furie, me fait signe qu’il n’en a pas fini avec moi lorsque le coup de grâce est donné. Il est 14 heures, mon « mail de la vérité » s’affiche sur son écran. Mais l’expéditeur n’est pas moi : c’est lui! Il a beau cliquer sur sa souris : c’est trop tard, je viens de signer son arrêt de mort professionnel… De blanc, son visage vire au gris, il se tient la poitrine et dans un dernier souffle, me susurre que l’on se retrouvera… mais s’effondre avant de me dire où !

Sur son écran, une dernière page s’efface. Ironie du sort, c’est celle de mon profil : « Rédactrice conceptrice depuis 8 ans. Honnête et travailleuse. Fille de patron et d’informaticienne. A besoin de se sentir soutenue. Ne pas trahir sa confiance, car très rancunière ! »

– FIN –

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